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LES LARMES SÈCHES

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Automne

Lundi 07 octobre

6h du matin, le réveil sonne. La pluie tambourine sur le toit, une bénédiction bienvenue après 70 jours sans une goutte. Moi qui suis agriculteur depuis 2026, je n’avais jamais rien vu de tel. Les pertes de récoltes sur nos 270 hectares sont lourdes et risquent de s’aggraver. Je pars justement dans la salle de surveillance voir ce que m’indiquent les capteurs de mesures.

L’état de la parcelle Terre, où se trouvent nos plants de sorghos et d’haricots semble relativement bon. Mais, d’après les appareils de mesures, les châtaigniers de la parcelle Fertilité, où se mêlent arbustes, haies, arbres fourragers, noyers et fruitiers, semblent avoir souffert. Pourtant, lorsque je consulte Xena, elle me dit d’attendre encore quelques jours avant d’irriguer la parcelle. Après tout, c’est elle qui sait le mieux comment optimiser les ressources en eau. Je décide tout de même d’aller voir l’état de la parcelle et en profite pour rendre visite à ma vachette Titine. Je prends mon vélo-cargo électrique pour parcourir les parcelles. Mon GPS m’indique qu’elle se trouve près de l’étang – à sec depuis un bon moment maintenant. Je l’ai recueillie il y a trois ans où seulement quatre individus de son cheptel ont survécu, conséquence d’un déficit alimentaire et hydrique couplé à la recrudescence de la maladie hémorragique épizootique. Ma Titine est docile.

Mercredi 09 octobre

Levé 6h. Le ciel est voilé et la pluie fine accompagne cette matinée plutôt tranquille. Je prends mon petit-déjeuner avec Pauline, qui fait partie des adhérents de notre coopérative d’agriculteurs du territoire. Depuis quelques années, j’ai repensé mes pratiques agricoles. J’ai peu à peu abandonné la monoculture et les systèmes gourmands en intrants au profit d’une agriculture plus diversifiée. Cédric, que nous aimons surnommer “l’agriculteur d’antan”, a été témoin de la lente agonie de sa ferme, ravagée par les sécheresses implacables et les incendies dévastateurs. Il a dû mettre la clé sous la porte, mais me rejoindre ici l’a sauvé. L’arrivée de Pauline et Evan, ce jeune couple dynamique, a insufflé une nouvelle énergie à notre coopérative. Pauline est une spécialiste en agronomie et en écologie tandis qu’Evan excelle dans la gestion des données technologiques agricoles mais tous deux gèrent surtout nos deux hectares de maraîchage. À nous quatre, nous combinons savoirs et expériences, et pouvons garder du temps pour nous, surtout les week-ends car nous alternons la garde de la coopérative.

L’après-midi, je me concentre sur la préparation du lit de semence pour le lin oléagineux. Xena m’indique que la parcelle Soleil est la plus adéquate car ensoleillée dès le printemps. Toutes nos parcelles sont soigneusement positionnées, stratégiquement pensées pour répondre au mieux aux besoins de nos cultures et aux caprices du climat. La dernière culture de lin sur cette parcelle, enregistrée par Xena, remonte à huit ans. Timing parfait pour garantir la résistance aux bioagresseurs.

Le soir, nous dînons avec Cédric, Evan et Pauline. Notre régime alimentaire est exclusivement basé sur des protéines végétales, la viande locale étant devenue un produit de luxe. Il faut remonter à la dernière crise agricole qui a conduit à des restrictions plus sévères de la part des politiques publiques, rectifiant le tir sur la production et l’importation de la viande.

Jeudi 10 octobre

Aujourd’hui, journée dédiée à l’Epicerie, où nous mettons en vente directe nos produits de saison ainsi que nos plats préparés faits maison. Je suis fier de ce concept qui repose sur une relation d’équité avec nos clients, qui paient un prix juste pour nos produits. Ce complément de revenu est toujours le bienvenu bien que la majorité de notre rémunération provienne désormais des collectivités territoriales, ce qui nous offre une certaine stabilité financière en tant qu’agriculteurs. En retour, nous nous engageons à respecter les quotas alimentaires imposés par notre région tout en demeurant fidèles aux limites planétaires établies par la Charte des Agriculteurs. Lorsqu’il nous reste quelques produits en surplus, nous les mettons en vente à l’Épicerie, afin de ne rien gaspiller. Ces systèmes résultent d’une collaboration étroite entre les agriculteurs, les citoyens et les décideurs politiques. Ils garantissent que nous ne dépassons jamais la capacité de nos terres et de nos ressources en eau pour produire de la nourriture. Malheureusement, à cause des sécheresses à répétition, cela fait trois années consécutives que nous n’arrivons pas à tenir nos quotas. L’étalage à l’Épicerie est de plus en plus dégarni.

Fin de journée : seulement huit clients sont passés, et les deux derniers étaient mécontents de ne rien trouver. Je les comprends parfaitement. Il fut un temps où nous avions jusqu’à 100 cagettes de fruits et légumes ainsi qu’une quarantaine de plats préparés en stock.

Ce soir nous nous réunissons justement avec quelques autres exploitants voisins pour faire le point sur tous les aspects de production, car des tensions commencent à se faire ressentir au niveau de la région. J’ai revu Loïc qui est vraiment inquiet pour l’année prochaine car selon lui la tendance actuelle va ne faire que s’aggraver. En même temps, son exploitation ne repose que sur un seul cépage qu’il n’a pas voulu faire évoluer ou remplacer par une variété plus adaptée… Je rentre épuisé par cette réunion. Le ciel s’est dégagé, laissant apparaître un spectacle scintillant d’étoiles dans la voûte céleste. J’ai pris le temps de contempler cette splendeur avant de m’allonger, et il était déjà minuit lorsque j’ai fermé les yeux.

Lundi 14 octobre

Je me lève à 6h30 sous un ciel couvert. Les prévisions météorologiques ne laissent entrevoir aucune pluie pour les prochains jours. Ce qui est tombé la semaine dernière est très insuffisant. Les précipitations de la semaine dernière étaient bien en deçà de ce que l’on pouvait attendre, et ne couvriront pas les besoins en eau des sols. Ça craint !

Mission du jour : préparer le contrôle agronomique hebdomadaire pour vérifier le bon étalonnage de tous les capteurs de surveillance. Sur chaque zone de captage sensible, chaque goutte d’eau compte et ne doit pas être utilisée pour rien. Heureusement que nos méthodes de fertilisation et d’irrigation sont au plus près des besoins de nos cultures. De toute façon les recharges d’eau vont vite être à sec s’il ne pleut pas à nouveau. Sinon je vais devoir refaire une demande au Comité Régional de l’Eau pour plus de réserves d’eau. La huitième de l’année.

Contrôle des capteurs OK. Manque de l’eau pour trois parcelles, oui ça j’avais bien vu… Ils enregistrent bien la composition et l’humidité des sols, l’état des cultures, la présence d’insectes ou de ravageurs, la couleur des feuilles… Je peux transmettre les données au système de surveillance de l’Observatoire Climat-Agri de la région, qui se charge de les analyser statistiquement pour éclairer nos décisions agricoles. Xena se chargera de me faire des recommandations demain suivant les résultats.

Et dire qu’en théorie, en tant qu’agriculteurs, nous avons un droit de regard sur ces données et sur les décisions qui en découlent. Mais que dire lorsque l’on constate que dans 90% des cas où les agriculteurs qui dérogent aux recommandations voient leur rémunération diminuer, même lorsque leurs rendements n’ont pas été affectés. Un rappel du rôle vital que jouent ces données dans notre quête pour une agriculture plus transparente et responsabilisante.

Hiver

Lundi 20 janvier

Le réveil sonne à 6h. Le vent souffle avec une force déconcertante, et les pluies torrentielles ne montrent aucun signe de répit après trois jours.

Je décide d’aller faire un tour sur nos parcelles voire l’étendue des dégâts. Verdict : la plupart se sont transformées en véritable champs de boue, tandis que d’autres sont tout simplement submergées. Même notre étang, qui d’ordinaire sert de zone tampon, est totalement débordé. Les données de la salle de surveillance ne laissent aucun doute : si cette pluie incessante persiste, nous courons le risque de connaître plusieurs inondations. Je n’imagine même pas les dégâts dans les coopératives situées directement près des cours d’eau. Toutes nos installations conçues pour favoriser l’infiltration des eaux pluviales sont quasiment saturées. Ma première préoccupation est d’aller voir si Titine et les animaux sont en sécurité et ne manquent de rien. Verdict : tout est OK.

Le vent est si fort. Plusieurs arbres sont déracinés. La pluie tombe drue, formant des cordes interminables. Je me dépêche de rentrer. Je reçois une alerte, le chargement des récoltes pour la région qui était prévu demain est annulé.

Le soir, dîner en compagnie de Cédric et Loïc. Nous discutons de nos besoins pour cet été en ce qui concerne l’accueil de jeunes en service agricole. Normalement nous pourrons accueillir deux jeunes en plus de la main-d’œuvre saisonnière.

Mercredi 22 janvier

Je me réveille à 5 heures, l’esprit empli d’une profonde inquiétude. Le temps s’est enfin apaisé mais les séquelles de ces derniers jours sont bel et bien là. Je partage un petit-déjeuner en compagnie d’Evan et Pauline, qui m’ont préparé ma boisson favorite à base de chicorée, miel, orge, cannelle, et épeautre. Rien de mieux pour me remonter le moral.

Nous décidons de prendre le temps de regarder les informations, qui font état d’inondations catastrophiques dans la région. Ça n’est pas la première fois, mais depuis les investissements colossaux de ces dix dernières années pour lutter contre les inondations, c’est désolant.

Nous décidons de nous rendre tous ensemble à la salle de surveillance pour évaluer les dégâts causés par les intempéries. Les conséquences se font ressentir sur chacune de nos parcelles. Le vent a aussi arraché plusieurs panneaux photovoltaïques, laissant des traces tangibles de la puissance de cette tempête.

La journée se poursuit par une séance de remise en état de nos parcelles. Sur place, les parcelles que j’inspecte sont recouvertes d’épaisses couches et mes bottes initialement vertes, tournent au marron, à force de m’enfoncer dans la boue. Cela va compliquer le passage de la moissonneuse. Les ravages de la tempête sont visibles partout, avec plusieurs arbres déracinés et gisant au sol. Ma préoccupation première est l’état de santé de nos animaux. Malheureusement, je découvre que quatre de nos poules n’ont pas survécu à ces conditions éprouvantes.

Plusieurs de nos collègues agriculteurs nous appellent pour nous proposer leur aide. C’est réconfortant de constater cette solidarité dans notre communauté agricole. Demain, Cécile, Clay et Rey viendront nous prêter main-forte. Nous allons également recevoir une livraison de fourrage pour Titine, ça me rassure.

Vendredi 1er février

Levé 6h. La journée commence tôt, je n’ai pas le temps de prendre une chicorée. Je suis convoqué en tant qu’agriculteur de la région, à une assemblée d’urgence. Les données relatives à nos pertes ont été transmises à l’Observatoire, et il est temps de faire le point.

Les pertes des productions agricoles de notre région sont alarmantes, atteignant un triste 36%. Les territoires les plus durement touchés sont situés à l’est, le long des cours d’eau, où parfois jusqu’à 100% des parcelles ont été anéanties. À l’échelle de la région, cela signifie que nous allons rencontrer d’énormes difficultés pour atteindre les quotas de production prévus pour cette année. Les comptes sont très serrés, et certaines coopératives risquent de manquer d’argent pour faire face à cette énième crise.

Pour nous aider à faire face à cette situation délicate, la collectivité s’engage à verser une aide correspondant à 10% des pertes par parcelle. L’assurance multirisques climatiques, de son côté, couvrira jusqu’à 60% des pertes ; le reste étant la franchise à la charge de l’agriculteur. Ces mesures sont une lueur d’espoir dans cette période difficile, mais il est clair que nous devrons faire preuve de résilience pour surmonter ces épreuves. On n’a plus qu’à attendre le versement des aides en espérant qu’elles arrivent vite.

Dimanche 3 février

Il fait plus frais, les températures sont bien redescendues, je rentre chercher un manteau. La matinée est entièrement consacrée à la coopérative, où j’entame une session de travail intensif. Notre objectif de la journée : remettre en état la devanture de l’Épicerie, un élément crucial pour notre activité. Le déjeuner se résume à un repas sur le pouce avec Cédric, on a de toute façon trop d’obligations ces derniers temps pour se poser.

De 15 heures à 18 heures, je m’attèle à la comptabilité de la coopérative, une tâche qui comprend également l’évaluation des pertes financières engendrées par les récentes intempéries. La situation est difficile, mais il est essentiel de chiffrer précisément les dommages subis. Normalement avec les aides ça devrait passer, mais pour combien de temps ? Je transfère tous les justificatifs nécessaires à l’assurance et à Marc, notre référent au sein de la collectivité. Cette collaboration est cruciale pour garantir notre capacité à surmonter les épreuves que nous traversons. La solidarité et l’effort collectif demeurent nos meilleurs atouts dans ces moments difficiles.

Printemps

Lundi 28 mars

Levé à 7h. Je m’installe sur la terrasse, espérant profiter des rayons du soleil pour me réchauffer le visage, mais au bout de seulement 5 minutes, la chaleur devient insupportable, signe que les températures continuent de grimper. Une bonne dose de réalité sur les changements climatiques. Je regagne rapidement la cuisine. Cet été s’annonce particulièrement dur. Avec les températures élevées de cet hiver, la floraison a démarré trop tôt… Je croise les doigt pour que ça ne regèle pas d’ici l’été.

La journée continue avec la préparation du programme de formation en compagnie de Cédric, en vue de l’arrivée prochaine de deux jeunes pour leur service agricole. Nous sommes contraints de prendre une décision difficile : les éloigner des cultures de vigne chez Loïc. En début d’année, les inondations ont pratiquement tout emporté chez lui, un rappel brutal des caprices de la météo de ces dernières années.

En inspectant certaines feuilles de nos premières floraisons, nous constatons quelques traces laissées par les limaces, un signe que les bioagresseurs ne sont pas les seuls à s’adapter aux conditions changeantes. Cédric effectue des tests de filtration avec son kit, et les résultats sont encourageants. Les galeries et la porosité du sol permettent une évacuation rapide de l’eau, tandis que les tests de poche indiquent des taux de matière organique et de carbone stables. Les micro-organismes du sol font leur travail. Cette année, nous allons peut-être accéder au tant convoité « bonus carbone », une prime destinée aux agriculteurs qui séquestrent le plus de carbone par hectares.

Lundi 5 juin

Ce matin, je nourris les animaux et Titine. À 10h, nous accueillons Azaria et Maé, les deux nouvelles arrivantes pour le service agricole. La matinée est consacrée à des présentations chaleureuses. Azaria nous a rapporté de sa région des produits exceptionnels : un morceau de viande et un prosecco normand.

Puis, visite des parcelles de cultures, couverts et arbres qui s’entrecroisent et se superposent créant un véritable modèle d’agroforesterie et de permaculture. Cette approche permet à chaque végétal, à ses systèmes racinaires, et à leurs alliés tant au-dessus qu’en dessous du sol, de bénéficier de la présence mutuelle, d’optimiser l’utilisation de la ressource en eau, et de minimiser la dépense d’énergie. Elle contribue également à réguler les populations de bioagresseurs en préservant la diversité génétique des cultures et des écosystèmes, un effort désormais récompensé par les collectivités. Azaria et Maé ont posé de nombreuses questions, signe de leur vif intérêt, ce qui me réjouit. Nos invitées ont également eu la chance de rencontrer Titine, véritable star de notre coopérative ! La suite de leur journée d’accueil s’est déroulée à l’Épicerie, en compagnie d’Evan et Pauline.

Le dîner a été un moment de partage remarquable. Evan a préparé l’entrecôte ramenée par Azaria, et cela faisait au moins deux ans que je n’avais pas goûté à un tel festin carné. Cédric a choisi de s’abstenir, dommage car c’était réellement succulent.

Mercredi 7 juin

Le réveil sonne à 7h. La journée débute tranquillement. Notre emploi du temps s’est articulé autour de la présentation des outils de gestion des cultures, de la salle de surveillance, et bien sûr, de Xena. Nous avons remis à Azaria et Maé leurs kits d’équipement essentiels pour les trois prochains mois à nos côtés : une bêche télescopique, un kit d’analyse des sols et de la microfaune, ainsi qu’une trousse d’urgence.

Au déjeuner, j’ai eu l’occasion de discuter davantage avec Azaria. Elle vient également d’une famille d’agriculteurs en Normandie, mais leur exploitation appartient à la grande distribution. Ce sont des agriculteurs-salariés, exécutant les tâches qui leur sont assignées. Je comprends mieux son intérêt dans la découverte du fonctionnement de notre coopérative et notre approche de la rentabilité.

L’après-midi, nous leur expliquons le fonctionnement de notre système énergétique, montrant comment nous avons réussi à devenir autosuffisants en matière d’énergie. Nos panneaux photovoltaïques de dernière génération, subventionnés par la collectivité, y jouent un rôle crucial. Un petit débat a émergé avec Maé, qui a partagé les défis liés à la production d’énergie dans sa région, encore sous la dépendance des lobbys de l’énergie, tandis que les prix flambent ces dernières années. L’après-midi a été particulièrement torride, et la chaleur m’a fait transpirer abondamment.

Été

Lundi 7 juillet

Levé 6h45. La chaleur est étouffante, comme si le soleil lui-même brûlait intensément. C’est sous ce soleil ardent que je suis allé nourrir les animaux, et que je consacre un peu de temps à ma fidèle Titine. Xena m’annonce qu’il faudrait mettre des ombrières sur les parcelles agroforestières Soleil, Lune et Fertilité pour les nouveaux plants et commencer à surveiller l’irrigation goutte à goutte des rangées d’arbres fruitiers et de haie fourragère. J’enregistre quelques pertes des arbres fruitiers : abricots, fraises et prunes. Sans nos précieux arbres nous ne pourrions pas cultiver mais ils subissent de plus en plus de pertes.

Les rayons du soleil, qui se faisaient déjà sentir ce matin, font encore monter la température. La journée se poursuit avec des travaux de semis en compagnie d’Azaria et de Maé. Les rayons brûlants du soleil frappent sans relâche, transformant l’herbe non protégée en une masse jaunie et sèche, ressemblant à de la paille. Pauline et Cédric nous ont apporté une recharge d’eau fraîche pour nos gourdes. Nous avons fini de déblayer quelques branches et haies lorsque j’ai cru apercevoir un vison d’Europe mais l’effet de la chaleur doit jouer sur mon esprit, car cela fait déjà 20 ans que cette espèce a disparu.

Je propose que nous restions à l’intérieur pour l’après-midi car il fait trop chaud. A la place, je donne un cours de cuisine aux filles avec Evan : un repas léger pour faire face à la canicule qui s’abat sur nos terres.

Mercredi 17 juillet

Je n’ai pas dormi de la nuit, j’avais beaucoup trop chaud malgré le système de refroidissement adiabatique. Je décide d’aller dans la salle de surveillance qui est la seule pièce mise sous climatisation pour que les appareils ne s’échauffent pas. Je me suis fait réveiller par Cédric vers 9h. En sortant de la pièce, la chaleur suffocante m’envahit déjà. D’ailleurs les nouvelles sont alarmantes : un pic de chaleur sans précédent est annoncé en fin de semaine, avec des pics de températures pouvant monter jusqu’à 48°C. Je jette un œil à l’indice de température-humidité des bovins… il risque de dépasser la barre des 90. Xena a convoqué une réunion d’urgence pour nous rappeler l’importance de prendre toutes les précautions nécessaires. Je n’avais jamais vu cela. Cédric a passé un coup de fil à Loïc. Apparemment on ne parle même plus d’une canicule habituelle, mais d’une « méga-canicule ».

On se réunit avec Pauline, Evan et Cédric pour la liste de tâches à exécuter dans l’ordre précis donné par Xena pour faire face à cette vague de chaleur dévastatrice auquel cas nous allons perdre nos précieux fruits, légumes et céréales et les quotas ne seront encore une fois pas atteints.

J’apprends plus tard dans la journée, qu’Azaria souhaite repartir chez ses parents en Normandie car elle ne supporte plus la chaleur. Elle partira demain avec le premier train, Cédric la conduira à la gare.

Samedi 20 juillet

Ce matin Cécile a fait preuve de grande générosité en venant nous approvisionner en eau. Cependant, même l’eau précieuse n’a pas réussi à soulager ma pauvre Titine, qui lutte pour sa survie. Elle est dans un état préoccupant. Elle a perdu tout appétit et reste prostrée dans son étable. Nous avons dû la sortir dans la nuit pour éviter tout risque de boiteries, mais la chaleur suffocante continue de peser sur elle.

Après le déjeuner, je suis retourné auprès de Titine essayant de l’aider à manger et à boire. C’est un spectacle déchirant de la voir si affaiblie par cette canicule extrême. Les refroidisseurs naturels ne font aucun effet, j’envisage d’installer des climatiseurs dans son étable, aussi coûteuse soit cette solution.

Dimanche 21 juillet

Titine est morte. Cela s’est produit aux alentours de 2h30, une heure et une date qui désormais laisseront une cicatrice profonde dans mon cœur. Les fortes chaleurs auxquelles nous avons dû faire face ont été trop cruelles pour elle, et elle n’a pas pu résister à rejoindre ses anciens compagnons. Ma docile Titine… Mes émotions sont en ébullition, mais les larmes semblent refuser de couler. Mes yeux sont tellement secs qu’ils brûlent, comme si mon chagrin était devenu une boule de feu incandescente, impossible à évacuer.

Lundi 03 août

Levé 7h. Xena m’annonce une « bonne nouvelle ». Que la nouvelle configuration agricole est plus optimisée avec un animal inutile en moins. Je hais les intelligences artificielles.

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Lundi 16 novembre

Les résultats de cette saison sont tombés : nos rendements n’ont jamais été aussi faibles, au sein de la coopérative comme pour toute la région. Aucun producteur n’a atteint ses quotas. Je me sens perdu. Après plus de 10 ans à construire un système alliant solidarité, résilience, diversification, et intelligence artificielle, nous en voyons à peine les fruits. Je crains qu’il ne faille à nouveau tout revoir. Je ne suis pas sûr d’en avoir la force.