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ROULE QUI PEUT

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Guide détaillé ici


Ce matin-là, je me réveille au son détestable de mon réveil. Je parcours comme tous les matins mes notifications les yeux encore mi-clos.

Alerte météo du jour : 🌡️ Alertes Canicule Exceptionnelle à Paris 🌡️

Chères résidentes et résidents de Paris, nous vous adressons une alerte météo urgente pour aujourd’hui. Préparez-vous à des conditions météorologiques exceptionnelles ! 🔥 Température Record : À prévoir vers 16h, la température atteindra un record de 50°C à l’ombre. ☀️🌡️Pour votre sécurité et votre confort, suivez ces conseils :
1. Restez hydraté : Assurez-vous d’avoir suffisamment d’eau à portée de main.
2. Restez au frais : Gardez votre climatisation en marche ou trouvez un endroit frais.
3. Préservez votre santé : Évitez les activités extérieures et limitez vos déplacements.
4. Fermez les volets : Protégez-vous du soleil en gardant vos volets fermés.
☀️🥵 #CaniculeParis

Vos voyages : 🚲 Réservation confirmée 🚲

Bonjour Richard, votre réservation pour un tricycle électrique est confirmée aujourd’hui à 8h, à la station de borne libre LibertyTrike en bas de chez vous. Votre heure d’arrivée estimée à la Gare Montparnasse est 8h27, vous laissant suffisamment de temps pour votre train prévu à 8h52. Profitez de votre voyage en toute tranquillité ! 🚆🌟

Vos nouvelles : 🌡️ Flash Info : Surmortalité Caniculaire 🌡️

Actualisation en temps réel : La surmortalité caniculaire s’aggrave, atteignant un bilan de 32 000 morts. Le président de la République prendra la parole lors du journal de 20h suite aux inquiétudes croissantes du personnel hospitalier qui signale une saturation. L’épidémie de dengue qui sévit sur le pays gagne les territoires du nord. Le dôme de chaleur devrait prendre fin en milieu de semaine avec l’arrivée d’une dépression.

Flash Info : 🔌 Coupures de Courant et Perturbations 🌃

Dernières nouvelles : Plusieurs coupures de courant localisées ont été signalées cette nuit, les raisons sont encore inconnues mais il semblerait que la cause soit les fortes chaleurs qui sévissent sur la moitié nord du pays ces derniers jours.🚇🔦 Restez informé(e) pour les mises à jour sur les perturbations et les déviations possibles. Prenez vos précautions si vous prévoyez de vous déplacer. ⚠️ #CoupureDeCourantParis.

Je bondis en direction de la salle de bain. Je prends une douche rapide puis un café sur mon balcon. Je contemple la vue, avec, à l’horizon, la tour Eiffel qui se dessine. Je retrouve Elérie, encore endormie dans notre lit qui me souffle : « Passe une belle journée mon chéri, et tiens-moi au courant pour ta réunion de ce soir ». Je l’embrasse à mon tour et pars récupérer mon tricycle à la station. L’air est encore un peu respirable dans notre quartier. Pour le prix que ça nous a coûté de choisir cet appartement… Heureusement ! Elérie m’avait convaincu que cette forêt urbaine serait appréciable en cas de fortes chaleurs. Je presse le pas, profitant de l’ombre et de la fraîcheur relative de cette verdure.

En arrivant à ma station, surprise : aucun tricycle ne semble fonctionner. Il y a un petit attroupement au niveau d’un agent LibertyTrike. Là, j’apprends la nouvelle désagréable : les vélos se sont déchargés et ne sont pas rechargés à cause de la coupure de courant de la nuit dernière. Quelle frustration !

J’arrive enfin à discuter avec l’agent.

– Comment vais-je faire s’il-vous-plaît ? J’ai un train à prendre à 8h50 !
– Monsieur, je vous prie de bien vouloir nous excuser, nous faisons tout notre possible pour remédier à ce problème, mais il semblerait que les fortes chaleurs fait flancher le réseau électrique et nous sommes en rade de batteries. Si vous êtes pressé, il nous reste des vélos mécaniques en parfait…
– Hors de question ! Vous voyez bien que j’ai une mallette et des affaires, il me faut un tricycle motorisé !
– Monsieur, sincèrement désolé, nous avons des portes bagages si vous voulez bien, qui conviendront parfaitement.

Je jette un coup d’œil à l’heure : 8h17. Je tente désespérément de réserver un taxi-autonome, un des rares véhicules autorisés à circuler en ville, mais impossible d’en commander un. En même temps, à l’heure de pointe, en plein cœur de Paris, là où les voitures ne circulent quasiment plus… Pas étonnant qu’ils soient tous pris. Et je ne peux même pas prendre les transports en commun, qui sont en grande partie à l’arrêt depuis quatre jours afin d’éviter les déplacements en cette période de chaleur extrême.

A ce moment-là, je n’ai pas d’autres options que le vélo. Quelle poisse !

Résigné, je place mes affaires sur le porte-bagage de cet appareil démodé, qui semble un peu rouillé mais qui reste fonctionnel. Il faudra que je partage cette aventure à Elérie… Une fois en selle, la silhouette de la tour Eiffel se dessine à l’horizon, tandis que mon smartphone me guide à travers les rues de Paris. Le trajet s’avère être plus long que je ne l’avais pensé, et je commence à ressentir la chaleur monter sous mon costume. Si seulement je pouvais déambuler en simple short.

« Bip », « bip » « bip ». J’entends les notifications défiler sur mon écran mais je reste concentré sur le trajet. Je n’ai pas de temps à perdre si je ne veux pas rater mon train.

J’arrive à la gare, en nage. Je n’ai jamais apprécié ce quartier et en cas de fortes chaleurs comme en ce moment, c’est pire que tout. Il n’y a pas un arbre devant la gare, on suffoque au milieu de tout ce bitume. Il est 8h45. Il me reste 7 minutes avant le départ de mon train ! J’attache le vélo à une rampe et je cours à l’intérieur du hall. Les voyageurs sont rares, quelques personnes sans-abris cherchent un coin d’ombre au niveau de l’entrée, là où il fait généralement plus frais qu’à l’extérieur. Je me dirige vers le panneau d’affichage de la gare. Mon train est retardé de trente minutes. Je regarde les notifications sur mon smartphone :

Vos voyages :

Richard, nous tenons à vous informer que votre train 8182 en direction de Carcassonne connaîtra un léger retard. Pour plus de détails, veuillez cliquer ici. Le ministère de la Santé vous conseille de reporter votre voyage, en raison des fortes chaleurs. Pour en savoir plus sur les mesures de remboursement/échanges, cliquez ici.

Flash Info : ⛈️ L’épisode méditerranéen “précoce” Alderic gagne en intensité

Après les cumuls de précipitations records observés en Espagne, la tempête Alderic a atteint les côtes françaises dans la nuit. Les vents et les pluies devraient être plus violents qu’initialement prévus. La vigilance orange passe en rouge pour les départements du Gard, de l’Hérault et de l’Aude. Des inondations locales sont à prévoir.

Je décide de mettre mes notifications en sourdine, excepté mes messages avec Elérie. Le trop plein d’informations parasite mes pensées et aujourd’hui revêt une importance particulière : ce soir, j’interviens devant la Commission de l’Ordre Économique, une première pour moi. Si tout se passe bien, dans quelques semaines j’intègre la Commission en tant que membre, avec à la clé un salaire à cinq chiffres. Un bon argument pour demander à Elérie de déménager de Paris. Je ne supporte plus cette ville.

Je m’installe au café de la gare, profitant d’un moment de répit pour envoyer un message à Elérie et lui partager mes nouvelles mésaventures.

J’en ai marre ! Le train a 30 min de retard !

Oh non, j’espère que ça va aller ! Ils exagèrent vu le prix qu’on paye…

Je patiente tranquillement mais lorsque je me dirige vers mon quai, je constate que mon train est encore retardé, sans plus de précision. J’aperçois un agent et l’accoste, lui demandant ce qu’il en est.

– Bonjour Monsieur, malheureusement, nous rencontrons de gros problèmes sur la ligne Paris-Bordeaux. Il va falloir encore patienter mais il y a de grandes chances que nous vous faisions prendre une autre ligne. Où allez-vous exactement ?
– Je descends à Carcassonne. C’est scandaleux ! Que se passe-t-il exactement ?
– En raison des températures exceptionnellement élevées prévues aujourd’hui, certains tronçons de rails pourraient subir des déformations. Par mesure de précaution, nous avons décidé de suspendre certaines lignes, tandis que d’autres fonctionnent actuellement à une vitesse réduite. Nous regrettons sincèrement cette situation. Nous attendons des consignes supplémentaires. Pourriez-vous me fournir votre numéro de billet, s’il vous plaît ?

Je lui tends directement mon billet électronique sur mon téléphone.

– Je vous remercie. Très sincèrement, l’attente pourrait durer plusieurs heures, mais je vois que vous êtes en Business Première. Nous pouvons vous faire prendre le train qui passe par Narbonne, il y en a un qui part à 9h40. Vous aurez un changement à Lyon Part-Dieu pour prendre le Lyon-Narbonne 12h55, arrivée à Narbonne à16h. Puis Narbonne-Carcassonne… Arrivée à destination à 17h.
– 17h ! Je devais y arriver à 12h initialement ! Je préfère attendre que mon train reparte.
– Monsieur, le train risque d’être supprimé. Je vous conseille vraiment de prendre le Paris-Lyon-Narbonne-Carcassonne, c’est la meilleure option. Vous n’aurez pas besoin de prendre ou changer de billet. Et bien entendu, votre billet vous sera remboursé.
– J’espère bien !
– Petit détail en revanche… Il part de Gare de Lyon.
– Quoi ?

Dégoûté par ce que je viens d’entendre, je ne sais pas quoi faire. Je regarde rapidement les prix des avions : hors de prix comparé au train. Les vols internes n’ont jamais été vraiment interdits, mais l’avion est désormais soumis à une surtaxe visant à subventionner le transport ferroviaire.

Je lis d’ailleurs que bon nombre de vols Paris-Toulouse sont annulés ou retardés à cause de la tempête qui remonte sur le sud. « Je risque de perdre un temps fou ! » me dis-je, à voix haute.

En proie à la panique, je décide de suivre les conseils de l’agent qui m’indique la navette bus entre Gare Montparnasse et Gare de Lyon.

Mal m’en a pris, j’ai oublié que comme à chaque fois qu’il fait chaud, le conducteur du bus allait couper la climatisation pour économiser la batterie. C’est pire que dehors en plein soleil. Heureusement, ils ont interdit aux personnes fragiles de se déplacer en pleine journée. Il ne manquerait plus qu’une personne âgée fasse un malaise et qu’on soit obligé de s’arrêter. Dire que si j’avais repris le même vélo, j’aurais pris un peu l’air et j’aurais au moins pu profiter du réseau express le long des Boulevards cyclables Arago, Saint Marcel et du pont d’Austerlitz entièrement cyclable depuis plusieurs années.

Je finis par arriver sous l’imposante horloge de Gare de Lyon. Contrairement à Montparnasse, le quartier de la gare de Lyon est plutôt agréable. Ces parasols solaires géants ne sont pas très esthétiques mais apportent un peu de fraîcheur en été. Je crois qu’ils ne pouvaient pas planter des arbres à cause du métro sous la gare. D’habitude, j’essaie d’éviter d’être éclaboussé par les enfants qui jouent dans les fontaines, mais aujourd’hui, je suis bien content de me faire asperger. En arrivant, j’avise le quai de mon train et grimpe dans le premier wagon. J’ai dix minutes d’avance. Je hèle une contrôleuse et lui explique mon problème. Elle m’indique un siège de libre dans lequel je m’écroule puis finis par m’endormir.

*****

– Monsieur, désirez-vous une bouteille d’eau ?, me demande un contrôleur, m’extirpant de mon sommeil.

J’accepte volontiers la petite gourde en carton, avant de me plonger dans mes mails. Il est environ 11h. Il reste environ une vingtaine de minutes de trajet. Mais tout à coup, le train s’arrête et les haut-parleurs du train retentissent : “Madame, Monsieur, en raison d’un problème lié aux températures élevées, nous sommes contraints de rester à l’arrêt quelques instants. Nous vous prions de bien vouloir rester à bord du train. Nous nous excusons pour tout inconvénient occasionné.”

C’en est trop pour moi. L’exaspération monte et je commence à avoir chaud. La climatisation de mon wagon semble également s’être arrêtée et mon siège commence à être moite. Je consulte fébrilement les informations de trafic sur mon téléphone, mais elles ne fournissent aucune explication supplémentaire. Les minutes semblent s’étirer en heures, et la sueur commence à perler sur mon front. Je regarde frénétiquement ma montre. Ce serait un comble que je rate ma correspondance !

Je persiste à actualiser les informations sur le trafic de mon trajet mais en vain. Les autres passagers autour de moi paraissent tout aussi mal à l’aise, certains éventant désespérément leur visage. Les vitres de mon wagon sont devenues brûlantes au toucher, et l’air stagnant commence à être étouffant. Nous décidons avec les passagers de descendre tous les pare-soleils.

“Madame, Monsieur, nous sommes sincèrement désolés pour la gêne occasionnée mais en raison des fortes chaleurs nous sommes dans l’obligation de patienter. Des bouteilles d’eau supplémentaires et des en-cas sont à votre disposition au wagon bar du train. Pour toute urgence vous pouvez appeler un de nos contrôleurs via l’onglet « Service à bord » de notre application mobile.

Au même instant, mon téléphone vibre signalant une notification. C’est Elérie qui m’envoie le lien d’un article.

Je viens de lire ça. Un problème de caténaire sur la ligne Bordeaux-Paris, c’est la pagaille à Montparnasse, tous les trains sont annulés !

Ne m’en parle pas ! Mais j’ai finalement changé d’itinéraire. Je passe par Lyon finalement mais ça ralentit aussi. Qu’est-ce qu’il fait chaud, il n’y a pas de clim…

Tu n’es pas en Business ?

Non, je suis monté dans le premier wagon. Le train est plein et les sièges ne sont pas réservables. Si tu me voyais, je dégouline.

Erk, ça ira chéri

Je commence à lire son article mais le soleil brûlant bat impitoyablement contre les vitres du train, transformant l’intérieur en un véritable sauna, malgré le vitrage anti-chaleur et les pares soleils. Certains passagers s’essuient frénétiquement le visage avec des mouchoirs imbibés de sueur, tandis que d’autres tentent désespérément de s’aérer avec des éventails de fortune, comme des journaux ou des magazines.

Le temps passe lorsque je jette à nouveau un œil à l’heure il est 12h10. La situation devient de plus en plus difficile à supporter. Soudain, je sens une agitation qui s’empare des passagers à l’arrière de mon wagon. Une dame vient de s’évanouir, et tout le monde semble s’efforcer de la réanimer. Une passagère, visiblement médecin, l’ausculte. Plusieurs contrôleurs entrent dans notre wagon avec un brancard et l’évacue.

– Veuillez faire de la place, s’il vous plaît ! Écartez-vous et retournez à vos sièges, nous prenons le relais !

Les regards sont empreints d’inquiétude. Nous espérons tous qu’elle reprenne connaissance.

Quelques instants après cet incident, les haut-parleurs retentissent avec un message annonçant que nous allons bientôt repartir. Je suis soulagé, surtout que je n’ai pratiquement plus de batterie sur mon téléphone. J’hésite à allumer mon ordinateur portable, mais je me résigne avec la chaleur, la ventilation risque de faire du bruit et l’idée d’être devant mon écran me donne mal à la tête.

***

Le train ralentit puis s’arrête. Sur le quai, le panneau affiche Gare de Montpellier. Le ciel est noir. Enfin, noir, c’est une façon de parler. On dit « noir » mais en réalité, le ciel est bleu-nuit, gris-bleu. Un ciel d’orage et de tempête, un océan céleste déchaîné. Je devrais profiter du trajet pour travailler mais je ne parviens pas à détourner mon regard de ce chaos magistral. Je sens monter comme une légère anxiété, comme un marin qui s’apprêterait à prendre la mer. Je suis confortablement installé dans le train quand j’entends un couple derrière moi qui papote, et j’entends l’une d’elles chuchoter :

– J’ai passé les deux derniers mois à espérer la pluie… Maintenant je crois que je préfère encore la canicule grenobloise.

Le train ne repart pas. L’arrêt à Montpellier s’éternise. J’ai un mauvais pressentiment. Et ça ne loupe pas : annonce de la cheffe de bord. Le train va devoir patienter, des soucis techniques sur la ligne, blablabla. L’agacement que je traîne depuis ce matin reprend le pas sur ma crainte respectueuse des éléments. J’attrape mon sac et part à la recherche d’un contrôleur, déjà assailli de questions.

– On attend de voir… La circulation est suspendue sur l’ensemble du département à cause de la vigilance rouge….
– Suspendue ?!

Je crois que j’ai crié, car il sursaute. Il réajuste sa casquette et me répond :

– Oui, la tempête Alderic…

Il désigne les nuages noirs – oui, finalement “noir” correspond bien – derrière la vitre.

Les limites de ma patience sont atteintes.

– Bon, eh bien, Messieurs-dames, c’est tout pour moi ! J’en ai ras-le-bol. Bonne fin de journée ! Je vais me débrouiller !

Une bourrasque me cueille dès que je sors du train. Le tonnerre gronde. J’entre dans le hall de la gare et je pianote sur mon téléphone. Je trouve un taxi-partagé qui s’apprête à filer en direction de Toulouse et pourrait me déposer à Carcassonne. 250€ pour 150 km. Le prix à payer pour un peu de luxe. Il vient me chercher, ainsi que les trois autres personnes qui l’ont commandé avec moi. Nous passons d’abord recharger la voiture mais c’est plus long que d’habitude à cause de la chaleur.

Tu vas pas me croire… J’ai dû prendre un taxi-partagé à 250 balles pour faire Montpellier-Carcassonne. Ça devient n’importe quoi.

Tout va bien ? Il parait que la tempête est quand même très impressionnante !

Ah non mais la tempête ça va ! Le problème ce sont les gens dans mon taxi ! Il y en a un qui parle depuis UNE DEMIE-HEURE de Basma Delanges, et pourquoi elle est géniale, et pourquoi son style d’écriture est merveilleux, et blablabla. L’horreur.

Ba chéri, c’est l’auteure du livre climato-romantique dont je t’ai parlé, en lice pour le prix Goncourt.

Le livre que tu veux pour ton anniversaire ? Ouais, enfin en lice pour le Goncourt. M’étonnerait qu’on lui donne. Bref, je te tiens au jus.

Le covoitureur continue :

– …aurait pu écrire quelque chose d’aussi beau, hein ? Qui d’autre ? Vous avez lu son recueil de poésies « Tempêtes de septembre et septs taons qui s’embêtent » ? Franchement…

Le taxi pile. La voiture devant nous roule au pas. Les essuie-glaces vont et viennent à toute allure, mais que peuvent-ils contre la rivière qui dégouline sur le pare-brise ? On ne voit quasiment rien. Les bourrasques secouent parfois notre véhicule.

– Le GPS me conseille de sortir de l’autoroute, nous dit le chauffeur.

Le trafic sur la départementale est assez fluide, mais notre conducteur reste prudent. J’aperçois un arbre arraché, à quelques mètres de la route. Plus loin, un canal a débordé et son eau boueuse recouvre une partie de la chaussée. Nous passons doucement. Après une demi-heure d’enfer, la pluie se calme enfin, la visibilité s’améliore. Nous passons près de rivières et fleuves en crues, qui charrient branches, troncs, et même…

– Oh, une voiture !, je m’exclame malgré moi.

Le toit dépasse d’un canal qui longe la route. D’où vient-elle ? Quelque part en amont, j’imagine. Je ne vois pas de secours. Certainement une voiture vide, emportée depuis un parking. J’espère en tout cas. Je cherche l’heure sur mon smartphone, mais il est éteint car déchargé.

Ma traversée chaotique de la France commence à me paraître bête. Jusque-là, la colère et l’agacement prédominent ; mais je me demande désormais ce que je fais là, au milieu d’une tempête ?

***

Carcassonne. Les remparts de la ville haute me contemplent. La pluie n’a rien de la densité de celle qui nous assaillait sur la route, mais elle me trempe de la tête aux pieds. Il faisait plus de 40°C à Paris, comment aurais-je pu penser à prendre un parapluie ? Je mets le pied dans une flaque en trottant le long de l’avenue, résigné ; absolument résigné. La valise à roulette que je tire sans ménagement bringuebale sur les pavés. Mon costume, trempé de sueur, est désormais trempé à cause de la pluie. Je regarde ma montre : 18h45. La réunion ouvre à 19h30. Je n’ai pas le temps de passer à mon hôtel pour me changer. Tant pis, je me débarbouillerai en arrivant.

Le stress commence à m’envahir car l’heure de mon intervention approche. Des semaines que je prépare ce moment.

J’entre dans le hall du bâtiment principal… Pas un bruit. Je sens que quelque chose cloche. La tension monte et le stress commence à s’emparer de moi. Je suis, finalement, peut-être le premier arrivé. L’ascenseur menant à la grande salle est en panne.

Jusqu’au bout.

Je grimpe les six étages. Les locaux sont vides. Je fronce les sourcils, traverse l’étage de part en part. Rien. Aucun membre de la Commission, pas de Président…

J’aperçois une prise et décide de charger mon téléphone. J’ai froid, j’ai faim et je suis exténué par mon périple. Mon téléphone s’allume enfin. Je reçois une remballe de notifications. Durant mon périple, j’ai complètement oublié qu’elles étaient en sourdine.

Je me laisse tomber sur la chaise en face de moi. Une bourrasque secoue les arbres dehors. Je sors un mouchoir en tissu et m’éponge le front. Je tombe enfin sur l’explication. Je tombe sur LA notification :

Travail :

Vous avez reçu un mail de la Commission de l’Ordre Economique : la réunion est annulée à cause de la tempête, restez au sec ! Cliquez ici pour lire le mail.